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Elsa Triolet et Louis Aragon.




UN MARIAGE DE DÉRAISON





Louis Aragon rencontra Elsa Triolet, le soir du 6 novembre 1928, à La Coupole. 

Il avait trente-et-un ans, elle trente-deux. 

Montparnasse vivait alors les dernières heures des Années folles. 

Deux mois plus tôt, Louis avait tenté de mettre fin à ses jours à Venise, en apprenant que Nancy Cunard le trompait avec le jazzman afro-américain Henry Crowder…





Nancy Cunard en 1928.




Naissance d’un personnage





 D’origine, Aragon est une fiction !


Son nom n’était ni celui de son père ni celui de sa mère et l’on ne connait avec certitude ni sa date ni son lieu de naissance. 


L’adresse mentionnée sur son acte d’état-civil correspond en fait à celle de son géniteur, le préfet de police de Paris, Louis Andrieux, qui demeure alors avec sa femme légitime et ses trois enfants au 42 rue Scheffer, dans le 16e arrondissement de la capitale. 

Tandis que sa mère, Marguerite Toucas, habite avec sa propre mère, ses deux soeurs puinées et son frère cadet rue Vaneau, dans le 7e arrondissement, à deux pas des magasins du Bon Marché, pour lequel elle peint, la nuit, des motifs décoratifs sur des éventails et des pièces de vaisselle. 




Préfet de police de Paris de 1879-1881, député, ambassadeur en Espagne, Louis Andrieux (1840-1931). 




A la naissance de l’enfant, la mère ayant dissimulée sa grossesse à Toulon, berceau de la famille maternelle, où il serait peut-être né, celui-ci est placé en nourrice en Bretagne, durant treize mois. 

 Afin de mieux « brouiller les pistes » avec le voisinage, au retour à Paris du bambin, sa famille maternelle s’installe au 11 bis rue de Villars, à l’autre extrémité de l’arrondissement, côté Seine, où, dès qu’il est en mesure de comprendre, on lui sert la fable consistant à le faire passer pour l’enfant d’amis de sa grand-mère, qui l’aurait adopté, peu de temps après la mort accidentelle de ses parents, à Madrid, où ils étaient censés résider. Sa supposée vraie mère se serait alors appelée Blanche. Blanche ou l’Oubli… 




Marguerite Toucas et son fils Louis Aragon (vers 1905).


 


Beaucoup plus tard, dans son livre Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit (1969), Aragon affirme être venu au monde quelque part « sur l’esplanade des Invalides ». 

Bien des années auparavant, dans son premier ouvrage, Anicet ou le Panorama, roman, commencé au Chemin des Dames, en 1918, il écrit : « Je suis né l’année où il a fait si grand vent, d’un père inconnu et d’une revendeuse à la toilette. » 

Son père, Louis Andrieux, a cinquante-sept ans, quand sa mère, de trente-deux ans sa cadette, se retrouve enceinte. Ce n’était pas vraiment un inconnu pour lui, comme il l’avoue dans Le Mentir-vrai (1964) : « Pendant mon enfance, le dimanche et le jeudi matins, nous allions, ma mère et moi, le rencontrer au bois de Boulogne, lui venant de Passy, nous de Neuilly (où sa mère tient alors une pension de famille). Je l’appelais parrain, c’était la version pieuse des choses. » 

Quant à sa mère, ce n’était pas à proprement parler une midinette de mélodrame. Elle était d’ascendance aristocratique, apparentée du côté maternel aux Massillon. 




Louis Aragon.



Le jour du départ d’Aragon pour le front, à vingt ans, en l’accompagnant à la gare de l’est, le 26 juin 1918, sa mère, à la demande de son père, lui révèle le secret de sa naissance : « parce qu’il ne voulait pas que je pusse être tué sans savoir que j’avais été une marque de sa virilité » !

Son nom a été choisi arbitrairement par son père, en souvenir de la province d’Aragon, qu’il connut lorsqu'il était ambassadeur en Espagne.

Aragon n’a jamais appelé sa mère « maman », ainsi qu’il le dit dans son poème Le domaine privé - le mot, écrit après la mort de cette dernière durant la Seconde Guerre mondiale : « Le mot n’a pas franchi mes lèvres/Le mot n’a pas touché son coeur/(…)Jamais je ne l’ai dit qu’en songe/Ce lourd secret pèse entre nous/Et tu me vouais au mensonge/A tes genoux/Nous le portions comme une honte/(…)Te nommer ma soeur me désarme/(…)Que si j’ai feint c’est pour toi seule/Jusqu’à la fin fait l’innocent/Pour toi seule jusqu’au linceul/Caché mon sang » 





La petite Elsa Triolet et sa grande soeur Lili.



Un destin de muse





À la fleur de l’âge, Elsa Triolet fit une rencontre capitale, qui allait marquer sa vie et lui donner son pli définitif. 

Surnommée Fraise des bois, la petite Ella, cadette des deux soeurs Kagan, fut élevée par des parents juifs peu orthodoxes et passablement fantasques (une pianiste et un avocat moscovites spécialisé dans les contrats d’artistes). 

Se sentant mal aimée et moins éblouissante que son aînée, elle séduisit néanmoins, deux ans avant la Révolution russe, le poète futuriste Vladimir Maïakovski. 

Un géant au sens propre comme au figuré, qui lui préféra finalement sa soeur, Lili Brik, alors déjà mariée et vivant à Saint-Pertersbourg, qu’Elsa lui présenta à l’occasion d’un séjour à Moscou.  

Habituée à passer en second, la petite Elsa, n’en tint guère rigueur à son aînée, qu’elle admirait et avec laquelle elle entretint une correspondance jusqu’à sa mort.

Pressentant que sa vie serait brève, le poète russe avait-il voulu épargner sa jeune amante, en lui offrant en échange une amitié plus durable ? 

Prévoyait-il pour elle un autre destin ?

Quoiqu’il en soit, c’est sous l’aile protectrice de Maïakovski qu’Elsa rencontra Aragon.





Lili Brik et Vladimir Maïakovski. 



D’un poète l’autre




Entre Maïakovski et bien avant Aragon, Ella Kagan, dite Elsa, polyglotte et parfaitement francophone, avait fait la connaissance d’André Triolet, un officier français en poste à Moscou, en compagnie duquel elle quitta la Russie et qu’elle épousa à Paris en 1919. 

Elle l’accompagna ensuite à Tahiti. Un séjour d’une année, qui lui inspirera, encouragée par Maxime Gorki, son roman À Tahiti (1925).

En 1921, elle se sépara de son mari, dont elle conserva toujours le nom, même après son divorce. 

Commence alors pour elle une longue période d'errance, qui la conduit de Londres à Berlin, avec des séjours ponctuels à Moscou. 

En 1924, elle s’installe à Montparnasse, où elle fréquente les écrivains surréalistes et les peintres d’avant-garde, tels Fernand Léger ou Marcel Duchamp. 

Elsa connaissait déjà Aragon de réputation et avait lu avec beaucoup d’intérêt Le paysan de Paris, paru chez Gallimard à la fin de l’année 1926, avant de le rencontrer à la Coupole, deux ans plus tard.


Il lui paru bien trop joli garçon et il ne l’a trouva pas franchement belle. 




Elsa à Paris.



Après la mort d’Elsa, vécue comme un anéantissement, Aragon renaît de ses cendres en veuf joyeux.

Gay, forcément gay.

Une manière de rester fidèle à Elsa, qu’il rejoindra finalement dans la tombe ? Indéniablement la femme de sa vie : « Elsa », « Les yeux d’Elsa », « Le fou d’Elsa », « Il ne m’est Paris que d’Elsa »…

Elsa, sa muse, son inspiratrice, sa stimulatrice (il la poussait à écrire pour pouvoir écrire à son tour), son tuteur, sa gaine, sa ceinture de chasteté.

La sexualité d’Aragon est encore un grand mystère : sous l’homme à femmes, n’a-t-il pas dissimulé, toute sa vie, l’homme-femme qu’il était ?

Elevé par ses « trois grandes soeurs » dont sa véritable mère, Aragon, enfant adulé au sein d’un gynécée, aimait les femmes, avait besoin de leur présence, de leur amour.

Son homosexualité était-elle refoulée ou jusqu’alors cachée ?

Dans Le paysan de Paris, le bordel à femmes du passage du Panorama d’Anicet devient un établissement de bains pour messieurs, ancêtre des saunas gays actuels.

Ses lettres à Breton sont celles d’une amoureuse à son amant. Et lorsque celui-ci s’entiche de Jacques Vaché, on sent poindre une jalousie chez le jeune Aragon, qui n’a rien de strictement littéraire.

Sans parler de son amitié particulière avec Drieu la Rochelle, qui se suicidera avec le roman Aurélien ouvert à ses côtés !

Le couple formé par Aragon et Triolet n’obéissait pas à la norme habituelle. Leur fidélité réciproque ne se réduisait pas à la sexualité. Elsa avait des aventures avec d’autres hommes et Aragon ne l’ignorait pas. En était-il de même pour lui, qui en 1927 rejoint le Parti communiste et en 1928 rencontre Elsa ? Les camarades, d’un côté, sa « régulière » de l’autre…





Louis Aragon au Moulin de Villeneuve.



Le problème de l’identité est la grande question d’Aragon, être de fiction d’origine, condamné de naissance à une identité éclatée.

Et, en effet, « Le chant amoureux qui devrait alors recoller les morceaux », se révèle être inévitablement « un espoir total et absurde ». Surréaliste, peut-être !

On a beaucoup glosé, et Aragon lui-même dans sa préface, pour savoir quelle était la part d’Aragon ou de Drieu dans le personnage d’Aurélien.

Puis-je encore être moi, dire « je », si je me fonds en l’Autre : Breton, Drieu, Nancy, Elsa (liste non exhaustive)… ou la masse des autres, les camarades communistes, échantillons et symboles de la condition humaine, dans sa version laborieuse et prolétarienne ?

Aragon savait-il vraiment qui il était ?

Toute son oeuvre témoigne de cette quête perpétuelle à laquelle il apportera des réponses fragmentaires et éparpillées.

Comme s’il espérait que d’autres, après lui, et mieux que lui, pourront peut-être y voir plus clair dans son « je » sans cesse mis et remis en « jeu ». Le « je » du narrateur et le « jeu » du comédien, qui s’opposent et se complètent magistralement dans son Théâtre/roman.

Pour lui, le roman restera inévitablement inachevé…

Et c’est comme par défi qu’il (nous) dit : « Il y a là un jeu sérieux, qu’on aura peut-être un jour l’idée d’examiner de près, pour mesurer la marge qui existe entre le réel et l’inventé. Le travail du romancier gomme pour ainsi dire cette marge, afin de ne laisser qu’une image détachée de lui ou de ses modèles, de ses pilotis. Une image nette, un trait précis. »


« Rien ne m’est plus atroce que la vérité, cette mort de moi-même qu’il me faut m’avouer. » (Blanche ou l’Oubli)


Dans un article, titré Les Clefs, publié dans Les Lettres françaises, daté du 6 février 1964, après la sortie des Mots de Sartre, Aragon, qui a toujours refusé d’écrire ses mémoires ou de tenir un journal, ironise : « Il règne un grand vent de sincérité sur l’Europe. Les écrivains sont passés aux aveux. (…) Moi, si je me racontais, je ne parlerais que de ce qui m’a fait rêver. Voilà bien, peut-être, qui explique chez moi que l’emporte le vent de l’imagination sur celui du strip-tease, la volonté de roman sur le goût de se raconter. »




Tombe d’Aragon et Elsa Triolet – Moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult en Yvelines.



© Jacques Barozzi, décembre 2024.



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A quelques pas de la mairie de Saint-Ouen, entrons dans le parc Abel-Mézière. A l’issue de la traversée de ce grand jardin public, nous avons la surprise de nous retrouver devant l’entrée d’un joli château, qui nous ramène à l’époque précédant l’industrialisation de la commune. A la Restauration, plus précisément. En ce temps-là, Saint-Ouen n’était encore qu’un modeste village d’environ 900 habitants, essentiellement des agriculteurs, pêcheurs et artisans. Son site privilégié, en surplomb de la Seine et de ses îles et à mi chemin entre Saint-Denis et Paris, avait favorisé l’installation en ces lieux de plusieurs résidences aristocratiques. C’est dans l’une d’entre elles, alors propriété du comte Vincent Potoki, que, le 2 mai 1814, Louis XVIII signa la « Déclaration de Saint-Ouen », prélude à la future Constitution qui aboutira au rétablissement de la monarchie. L’ancien château du comte Potoki ayant été endommagé par les Alliés, Louis XVIII, fit édifier à son emplacement, entre 1821 et 1823, par les architectes Hittorf et Huvé, cet élégant pavillon carré à l’italienne, en pierre de taille, qu’il offrit à sa maîtresse, la comtesse du Cayla. A l’époque, le château était entouré d’un vaste parc à l’anglaise de 27 hectares qui s’étendait jusqu’au fleuve. Racheté en 1965 par la municipalité et ouvert au public, il abrite désormais le conservatoire de la ville, son musée d’Histoire locale ainsi qu’une importante collection d’œuvres contemporaines.
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Dans le prolongement de l’Allée Principale, en bordure de la 4e division en direction du Monument aux morts, Alfred de Musset (1810-1857). L'auteur des Caprices de Marianne et de Lorenzaccio avait demandé qu'un saule fût planté sur sa tombe, mais la terre du Père-Lachaise ne le permet pas. Son buste en marbre blanc est l'oeuvre de Jean Barre (1811-1896). Derrière sa tombe, on aperçoit celle de Charlotte Lardin de Musset, soeur du poète. La sculpture en pierre la représentant assise est de François Sicard (1862-1934).
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Paris démonté Faudra t-il attendre aussi longtemps pour que les Parisiens retrouvent leurs plus beaux sites qu'il n'en faut aux Français pour connaître leur nouveau gouvernement ? Bref état des lieux d'après fête, en images.
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Un rêve de Ceinture verte Il aurait fallu une forte volonté conjointe de l’Etat et de la SNCF pour que Paris puisse être doté d’une promenade verte ininterrompue de 32 kilomètres de long. Comme le fit en son temps Napoléon III en cédant en 1852 à la Ville, pour un franc symbolique, les anciens domaines royaux, alors clos de murs, des bois de Boulogne et de Vincennes, à charge pour la municipalité de les aménager en promenade publique et de les entretenir. Ou comme, plus près de nous, quand fut réalisée la Promenade plantée, rebaptisée Coulée verte René-Dumont, aménagée de 1988 à 1993 sur le tracé de l’ancienne voie de chemin de fer qui reliait la Bastille à la banlieue sud-est de Paris, entre 1859 et 1969. Permettant désormais de traverser le XIIe arrondissement de part en part, à l’abri de la circulation, et d’offrir ainsi aux Parisiens une promenade supplémentaire de près de 6 km de long. 
par Jacky Barozzi 5 septembre 2024
Propriétés interdites A qui appartiennent les célébrités après leur mort, à leurs héritiers ou à leurs admirateurs ? Les tombes étant des concessions privés, aux premiers, hélas ! C’est ainsi que dans le petit cimetière du cimetière Montparnasse, on ne peut plus admirer depuis quelques années déjà le célèbre Baiser de Constantin Brancusi . La sculpture orne depuis 1910 la tombe de Tatania Rachevskaïa (19e div.), une jeune femme qui s'était suicidée à la suite d'un chagrin d'amour. Devenue la sculpture la plus emblématique de la nécropole, et classée monument historique, elle fait actuellement l'objet d'une sombre querelle d'héritage. Etait-il nécessaire pour autant de la rendre invisible aux promeneurs ? 
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