Depuis le bois de Boulogne, la nature entre dans la ville par l’avenue Foch (ex avenue de l’Impératrice).
L’avènement du Second Empire va bouleverser le paysage parisien ; Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, qui avait vécu presque toute sa vie à l’étranger, profita de la révolution de 1848 pour faire son retour en France ; d’abord président de la II° République, il affirma son pouvoir par le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et se proclama empereur en 1852 sous le nom de Napoléon III. Il avait trouvé à son arrivée à Paris une ville largement tributaire de l’époque médiévale dans le tissu urbain du centre et totalement dépourvue de tous les équipements, notamment en matière d’hygiène, qui existaient déjà à l’étranger et particulièrement à Londres. Lui qui était fasciné par le progrès technique, scientifique et économique mais attaché également à l’idée de progrès social, décida de moderniser Paris pour en faire une ville saine, aérée et pourvue de logements dignes d’accueillir une classe dirigeante bourgeoise et prospère. Mais un autre facteur, politique celui-là, était
déterminant : Napoléon III voulait se prémunir contre tout nouveau risque de révolution, comme celles qui avaient causé la chute des précédents régimes en 1830 et 1848. Il fallait pour cela d’une part de larges artères permettant de rapides interventions de police et d’autre part démolir les vieux quartiers parisiens pour supprimer le plus possible de toutes leurs petites rues, terrain idéal pour édifier des barricades et favoriser la fuite des émeutiers.
Lac Inférieur du bois de Boulogne.
Pour mener à bien ce programme d’une ampleur démesurée, Napoléon III choisit le baron Georges-Eugène Haussmann (1809-1891) qu’il nomma préfet de la Seine en 1853. A eux deux, ils tranchèrent dans le vif, établissant un nouvel axe nord-sud – boulevards de Sébastopol, du Palais, Saint-Michel – et est-ouest – prolongement de la rue de Rivoli jusqu’à la rue Saint-Antoine –, d’où partaient des percées obliques reliant les points stratégiques de la capitale, comme la rue de Turbigo et le boulevard du Prince-Eugène (boulevard Voltaire) qui aboutissaient tous deux à l’actuelle place de la République et à la caserne du Prince-Eugène, cantonnement des troupes impériales. Dans les quartiers neufs, ce furent par exemple les boulevards Malesherbes et Haussmann, et toutes ces nouvelles voies se bordèrent de beaux immeubles en pierre de taille dont les prix, inaccessibles aux populations ouvrières, contraignirent ces dernières à émigrer vers les faubourgs ou la banlieue. En 1860, la ville allait annexer les communes situées entre le mur des Fermiers généraux et l’enceinte de Thiers, qui vinrent s’intégrer dans le nouveau découpage administratif de Paris en vingt arrondissements. Avec le développement du chemin de fer et la poussée industrielle, les anciens villages devenus faubourgs se couvrirent rapidement de constructions – habitations, ateliers, usines –, et la campagne fut progressivement repoussée. Le réseau d’égouts, l’éclairage au gaz, la généralisation des trottoirs, l’amélioration du réseau de distribution d’eau, l’établissement de gares, de marchés, d’abattoirs, etc. s’accompagnèrent d’une politique de création de jardins tout à fait considérable.
Square de la Tour Saint-Jacques.
Pour Napoléon III, en effet, qui éprouvait un véritable goût pour l’art des jardins et qui admirait fort les parcs anglais découverts pendant son exil, Paris devait se doter de tels espaces verts : il en allait du prestige de la capitale, mais c’était également une nécessité pour chaque quartier de pouvoir bénéficier de la proximité d’un jardin puisque la campagne se trouvait désormais loin. C’est parce que le sujet lui tenait tant à cœur que l’empereur s’impliqua personnellement dans un grand nombre des réalisations qu’allait mettre en œuvre Haussmann.
Ce dernier prit comme bras droit l’ingénieur Jean-Charles Adolphe Alphand qu’il nomma en 1854 ingénieur en chef des embellissements avec comme collaborateurs Gabriel Davioud pour l’architecture et le mobilier et Jean- Pierre Barillet-Deschamps pour l’horticulture. Après l’annexion de 1860, le service des Promenades et Plantations de la Ville prit sa forme définitive : l’ingénieur en chef Alphand supervisait d’une part trois ingénieurs d’arrondissement, chargés respectivement de l’ancien Paris, du nouveau Paris et du bois de Boulogne ; d’autre part une agence d’architecture dirigée par Davioud et une agence d’horticulture dirigée par Barillet-Deschamps.
Les grottes et le temple de l'Amour du lac Daumesnil au bois de Vincennes.
Le Second Empire, qui avait trouvé à Paris moins d’une centaine d’hectares de jardins publics, constitués par les anciens jardins royaux des Tuileries, du Luxembourg, des Plantes, des Champs-Élysées et du Palais-Royal, en laissa plus de 2 000 avec l’aménagement des bois de Boulogne et de Vincennes (environ 1 850 hectares), la création de trois parcs (environ 50 hectares) et l’ouverture de vingt-quatre squares et promenades (environ 70 hectares). Le coup d’envoi fut donné au bois de Boulogne en 1852 et l’entreprise s’acheva avec le début des travaux du parc Montsouris, en 1867, que la guerre interrompit et qui s’achevèrent sous la Troisième République.
Haussmann et Alphand profitèrent de réserves de verdure déjà existantes pour transformer en promenades les deux bois et créer un parc à partir de la propriété de Monceau, dont une partie fut cependant l’objet d’une opération immobilière ; de terrains inconstructibles, ceux des Buttes-Chaumont et de Montsouris, pour établir deux autres parcs ; enfin des démolitions occasionnées par le percement des nouvelles voies pour réserver des espaces libres leur permettant d’implanter des jardins de quartier répartis en différents points de la capitale.
Square du Temple.
Mais la tâche d’Alphand n’allait pas se limiter à l’aménagement de ces nouveaux espaces verts ; il lui fallait aussi trouver un style de jardin répondant aux besoins de l’époque : le jardin régulier, classique, n’était concevable que dans les vastes étendues de grandes propriétés et rappelait par ailleurs les fastes d’un passé à jamais révolu ; quant aux jardins pittoresques et anglo-chinois, ils étaient liés à une fantaisie et à une insouciance passées de mode. C’est une fois de plus à partir des modèles anglais qu’Alphand et ses collaborateurs élaborèrent les deux types de jardins propres au Second Empire : le parc paysager et le square urbain.
Parc Monceau.
Parallèlement à l’aménagement et à la création d’espaces verts, Alphand reçut d’Haussmann la mission d’effectuer des plantations le long des larges artères nouvellement tracées et c’est ainsi qu’il orna les rues de la capitale de plus de 50 000 arbres. Il s’agissait la plupart du temps de jeunes sujets cultivés dans les pépinières du bois de Boulogne mais certains sites privilégiés, pour lesquels on voulait obtenir un effet immédiat, reçurent de grands arbres adultes, transplantés depuis les forêts environnantes.
Le choix des essences était fonction de leur destination. Les avenues reçurent des arbres à croissance rapide et homogène, qui pouvaient procurer une ombre abondante et étaient réputés pour leur résistance aux insectes xylophages : le platane et le marronnier furent généralisés, l’orme et le tilleul furent également plantés. Les rues plus étroites reçurent des espèces au développement moins imposant comme l’acacia, le vernis du Japon et l’érable, tandis que le catalpa et le paulownia étaient utilisés en bordure des voies exigeant des arbres de taille moins élevée. Une nouvelle essence, le planéra ou orme du Caucase, fit son apparition.
Toutes ces plantations d’alignement étaient protégées car il s’agissait d’obtenir un effet esthétique et durable. Les sujets jeunes recevaient une sorte de corset qui leur servait aussi de tuteur, composé de branches de deux mètres de haut maintenues par des liens circulaires en bois attachés par un fil de fer. Comme les trottoirs étaient maintenant recouverts de bitume, un espace de terre était réservé au pied des arbres nouvellement plantés et recouvert d’une plaque de fonte ajourée, de un à deux mètres de diamètre, permettant de conserver un sol perméable autour de chaque tronc.
Parc des Buttes-Chaumont.
Le Second Empire, sous l’égide d’Haussmann et d’Alphand, s’est attaché également à la création d’un mobilier à double vocation, à la fois esthétique et pratique, ce qui constituait une grande nouveauté. C’est l’architecte Gabriel Davioud qui élabora ces équipements qui devaient participer à l’environnement et à l’embellissement de la capitale. Cette unité de conception eut pour résultat une remarquable unité de style, caractérisée par le souci du détail et de la perfection propres à Davioud. Il dessina lui-même ces éléments à la fois ornementaux mais aussi, dans la plus grande majorité des cas, utilitaires, qui furent répartis dans toute la ville.
Les nouvelles avenues reçurent candélabres, kiosques à journaux, fontaines, vespasiennes et bancs ; les squares furent équipés de grilles de clôture et de bancs.
Pour les parcs et les bois, Davioud conçut des pavillons, chalets, kiosques et restaurants dont il varia les styles, conformément au goût pour le pittoresque qui prévalait alors : c’est ainsi qu’il s’inspira des cottages anglais pour les pavillons de garde des bois de Boulogne et de Vincennes ; des chalets suisses pour les embarcadères des lacs, les restaurants et les chalets de nécessité ; des temples antiques dans la rotonde du lac Daumesnil au bois de Vincennes et dans la reproduction du temple de la Sibylle aux Buttes-Chaumont ; des pagodes orientales dans le kiosque de l’Empereur du grand lac du bois de Boulogne. Il dessina des grilles de clôture et des portails d’entrée de ferronnerie ouvragée, des réverbères ornés de motifs végétaux, des bancs dont les pieds de fonte imitaient des branches, des corbeilles de forme tulipe, des arceaux de fonte imitant des branches de châtaignier pour border les pelouses, des panneaux d’orientation et des porte-règlements en fonte aux armes de la ville.
© Jacques Barozzi et Marie-Christine Bellanger-Lauroa, 2022
Parc Montsouris.
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