Avec le barman de l'hôtel Saint-Christophe, l'été 1969.
Le Questionnaire de Bolaño
1 – Quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit ?
Aucuns ou tous !
2 – Quelle est la différence entre ce mot et le mot « écrivain » ?
Aucune.
3 – Qu’est-ce que la littérature française ?
Ma langue natale, mon unique patrie.
4 – Marcel Proust, Claude Simon ou Annie Ernaux ?
Marcel Proust.
5 – Que pensez-vous de la « littérature mondiale » ?
Une promesse de beaux voyages.
6 – Emily Dickinson, Kafka ou Kae Tempest ?
Kafka
7 – Quel est le meilleur roman de Victor Hugo ?
Je n’en ai lu aucuns, mais j’ai vu de nombreuses adaptations au cinéma ou à la télévision des Misérables et de Notre-Dame de Paris.
8 – Si vous l’aviez connue, qu’auriez-vous dit à Marguerite Duras ?
Je l’ai eue au téléphone et je voulais l’interviewer sur ce qu’elle pensait de l’homosexualité masculine pour l’hebdomadaire le Gai Pied, auquel je collaborais, à propos de la polémique sur son livre La Maladie de la mort. Mais comme elle ne voulait parler que de son dernier ouvrage paru, j’ai décliné le rendez-vous promotionnel qu’elle me proposait.
9 – Et au général de Gaulle ?
Rien ! je serais devant lui aussi perplexe qu’une poule devant un couteau…
10 – Avez-vous déjà versé des larmes à cause de critiques adverses ?
Non, sinon de rires !
11 – Avez-vous déjà volé un livre qui, à la lecture, ne vous a pas plu ? Qu’en avez-vous fait ?
Ceux que j’ai volés m’ont toujours plus.
12 – Avez-vous déjà marché dans le désert ? Si oui, pourquoi ?
Seulement à dos de chameaux dans le sud de la Tunisie à l’occasion d’un circuit touristique.
13 – Avez-vous déjà vu des poissons multicolores dans l’eau ?
Oui, à La Réunion ou en Thaïlande, entre autres.
14 – Avez-vous déjà gravé quelque nom ou message sur un tronc d’arbre ou un mur ?
Non, pas même dans les pissotières.
15 – De quoi vous souvenez-vous de votre enfance ?
De tout.
16 – Collectionnez-vous les boules à neige ?
Non.
17 – Quelle est votre équipe de football favorite ? (Si vous n’en avez pas, vous pouvez répondre à la question de votre choix)
Je passe.
18 – À quels personnages de l’histoire universelle auriez-vous aimé ressembler ?
Aucuns.
19 – Avez-vous beaucoup souffert par amour ? par haine ?
J’ai eu des peines de coeur mais jamais de haine.
20 – Les listes de vente de vos livres sont-elles pour vous un objet de préoccupation ? (Si oui, pourquoi ?)
Seulement les relevés de droits d’auteur : toujours trop maigres en ce qui me concerne, hélas !
21 – Vous arrive-t-il de penser à vos lecteurs ? En quels termes, par exemple ?
Pas vraiment mais j’écris pour être lu…
22 – De tout ce que vos lecteurs vous ont dit, qu’est-ce qui vous a le plus touché.e ? Qu’est-ce qui vous a le plus énervé.e ?
Les compliments exagérés me rendent confus, les critiques sérieuses m’intéressent et les critiques excessives m’indiffèrent.
23 – Qu’est-ce qui provoque l’ennui chez vous ?
Les autres, seul avec moi-même je ne m’ennuie jamais.
24 – Écrivez-vous à la main ou seulement sur ordinateur ?
Désormais, principalement sur ordinateur.
25 – En compagnie de qui aimeriez-vous vous retrouver dans l’au-delà ?
Je préfère en avoir la surprise !
26 – Avez-vous cru, à un moment ou à un autre, verser dans la folie ?
Oui, lourde hérédité dans ma famille !
27 – Qu’est-ce qui vous fait encore pleurer ?
Les livres, plus rarement, et surtout les films.
28 – N’enlèveriez-vous pas quelques pages à La recherche du temps perdu ?
Non, il suffit de les sauter.
29 – Que dites-vous de ceux qui pensent que Houellebecq est le grand auteur de notre temps ?
Pas grand chose.
30 – De qui suivez-vous le plus les conseils quand il s’agit d’écrire ?
De mon intuition.
31 – Quel écrivain francophone admirez-vous le plus profondément ? Et non francophone ?
Celui ou celle que je suis en train de lire avec intérêt et qui m’offre un plaisir à chaque fois renouvelé.
32 – Peut-on sauver le monde ? (Si oui, pourquoi ?)
Le monde se sauvera bien tout seul mais pas l’humanité.
33 – Avez-vous confiance ? en quoi, en qui ?
En la gentillesse et la bonté d’âme.
34 – Qu’évoque pour vous le mot « posthume » [posthumus] ?
Une possibilité de laisser sa trace.
35 – Qu’est-ce que vous auriez aimé être au lieu d’écrivain ?
Rien d’autre et j’ai tout fait, semble t-il, pour ne pas devenir écrivain…
Rectificatif à la question 14 – Avez-vous déjà gravé quelque nom ou message sur un tronc d’arbre ou un mur ?
Voilà soudain que je me souviens de l’été 1969. J’ai 17 ans et je suis engagé en tant que réceptionniste au Saint-Christophe, un superbe hôtel quatre étoiles, niché dans les rochers rouges de l’Esterel, en surplomb de la mer. Sur le mur blanc de la petite cellule en sous-sol qui me tient lieu de chambre à coucher, j’écris au feutre noir le texte suivant et le signe :
Ma vie n’a pas vingt ans
Et je ne sais que faire
Nous vivons dans des temps
Où règne la colère
Mon coeur n’a pas aimé
Il ne saurait le faire
Il sait que s’il le fait
Pour lui c’est la misère
Mes mains n’ont pas créées
A quoi cela nous sert
De tant nous fatiguer
Pour n’être que des serfs
La vie est un boulet
Dont il faut nous défaire
Quand, l’année suivante -celle du bac de français pour moi-, je postule à nouveau pour retrouver mon emploi saisonnier, le directeur, monsieur Philippe Dewaert, un belge efféminé et hystérique, qui ne pouvait terminer une phrase sans éclater nerveusement de rire me déclare : « Bien volontiers, Jacky, mais vous éviterez désormais d’écrire sur les murs de votre chambre, car après votre dernier passage, malgré votre très beau poème, nous avons dû la reblanchir entièrement, hihihihihihi !!!! »
Septembre 1969, avec ma fiancée Daniele, je retrouve le sourire !
contact : jackybarozzi@aol.com