« La Nuit des rois » de Philippe Lacôte, avec Bakary Koné, Steve Tientcheu et la participation de Denis Lavant.
Après « Run », présenté au Festival de Cannes 2014, ce second long métrage francophone du cinéaste ivoirien Philippe Lacôte est proprement fascinant !
Dans la MACA d’Abidjan, l’une des prisons les plus surpeuplées d’Afrique de l’Ouest, située à la périphérie de la ville, au coeur de la forêt vierge, Barbe Noire (Steve Tientcheu), est un roi vieillissant et malade, un caïd en son propre royaume, où il jouit d'une autorité supérieure à celle du directeur de la prison.
Pour conserver son pouvoir de plus en plus contesté, il décide alors de renouer avec le rituel de “Roman”, qui consiste à obliger un prisonnier à raconter des histoires durant toute une nuit.
Rôle qu’il attribuera à un jeune prisonnier (Bakary Koné), fraîchement arrivé à la Maca.
L’occasion pour le réalisateur de mettre en scène, durant un tournage de 20 jours dans un décor reconstitué peuplé de 300 figurants, une histoire pleine de bruit et de fureur proprement shakespearienne, dompté par la seule parole d’un narrateur digne des contes des Mille et une nuits : un Shérazade mâle, qui doit atteindre le levé du jour s’il tient à conserver la vie.
Ici, ce qui est important ce n’est pas tant ce que le narrateur raconte, mais la manière qu’il a de raconter.
Un art de l’oralité universel, revu et corrigé ici dans tout son particularisme africain.
Le nouchi (l'argot ivoirien) est mis au service en effet d'un cérémonial bété, permettant de chanter, mimer, danser et raconter l’histoire, rythmée par un choeur antique selon les codes du zouglou, une musique moderne apparue sur les campus ivoiriens dans les années 1990.
Un art qui laisse aussi la place à l’improvisation, propre à la comedia Del Arte, et permet aux corps de se déployer en toute majesté, selon ce qu’en dit Philippe Lacôte : « le corps noir a été beaucoup montré, soit comme un corps d'esclave, soit comme un corps sexuel. Ici, j'avais envie de montrer des corps qui sont tout simplement ceux d'êtres humains qui sont là et qui vivent. Je voulais aussi apporter du désir dans cette histoire à travers le personnage de Sexy, un transgenre, humilié en public et adoré en privé. Je voulais parler de sexualité en prison parce que ça existe tout simplement. »
Saluons encore l’inénarrable contribution de Denis Lavant, seul blanc, dans un rôle pratiquement… muet.
Un film beau comme une pièce de Jean Genet adaptée au cinéma par Pier Paolo Pasolini !
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