« Cachez ces fontaines que nous ne saurions voir ! » Tel semble être le mot d’ordre de la Mairie de Paris, qui, visiblement, n’a pas l’air de beaucoup les apprécier ?
Au printemps 2010, les éditions Parigramme, spécialisées dans les publications de livres sur la capitale, éditaient l’ouvrage Paris de fontaine en fontaine, écrit et illustré par mes soins.
A cette occasion, plusieurs séances de promenades-signatures furent organisées dans les principales librairies parisiennes, qui me permirent de rencontrer de nombreux lecteurs intéressés par le sujet.
Le livre bénéficia de plusieurs articles de presse, dont une pleine page du Parisien, daté du 10 juillet 2010, se faisant l’écho de mon étonnement d’avoir alors constaté que plus de la moitié des fontaines n’étaient plus mises en eaux.
Article, à la suite duquel la Mairie de Paris répondit aussitôt par un communiqué de presse justifiant sa politique en matière d’entretien et de rénovation des fontaines de Paris.
Quel ne fut pas mon étonnement lorsque deux ou trois ans plus tard, mon éditeur m’adressa une lettre dans laquelle il me fit part de son intention de retirer ce titre de son catalogue, me signalant au passage qu’il envoyait les exemplaires en stock chez les soldeurs, au prétexte que le livre ne se vendait pas !
Une première dans ma longue carrière d’auteur, que je me garderai bien de commenter ici…
L’avantage de cette déconvenue, c’est que j’ai ainsi recouvré l’entière propriété des droits afférent à l’ouvrage et puis l’offrir, bénévolement, aux lecteurs du blog que je viens de créer en août 2021.
Afin de réactualiser mon propos, j’ai donc repris l’enquête réalisée il y a plus de dix ans.
Loin de s’être améliorées, les choses n’ont fait qu’empirer !
Dans le premier article de ce blog, Péril en la fontaine, j’alertais les Parisiens sur le triste état d’abandon de la fontaine des Innocents, la plus ancienne et la plus prestigieuse des fontaines de Paris.
Dans l’article suivant, Recherche fontaine désespérément, j’évoquais, à défaut de nouvelles créations, la vingtaine de fontaines qui ont disparu du paysage urbain ces dernières années.
Ici, il me faut vous parler de celles, plus nombreuses encore, qui sont volontairement dénaturées et en voie de disparition.
Au cour de sa promenade virtuelle par arrondissement, le lecteur pourra constater de visu que bon nombre de bassins prolongeant la plupart des éléments décoratifs de fontaines ont été transformés en… jardinières.
Au square Calmette (15e arr.), les trois gracieuses nymphes nues de la fontaine du Printemps attendent désespérément de pouvoir à nouveau se baigner dans leur bassin !
Le cas le plus flagrant est celui des trois fontaines du jardin Atantique (14e arr.).
Aménagé de 1992 à 1994 sur la dalle recouvrant la gare Montparnasse, ce jardin contemporain de plus de 3 hectares s’agrémentait de trois fontaines.
La fontaine des Hespérides, au centre de la grande pelouse, où trône l’Île météorologique, due au plasticien Bernard Vié.
Cette sculpturale œuvre en acier, d’inspiration futuriste (visiblement en mauvais état aujourd’hui) est en principe destinée à mesurer la force et l’orientation des vents, les pluies, les températures et la pression atmosphérique. Elle était entourée d’une pièce d’eau dont les multiples jets imitaient le mouvement ondulatoire des vagues.
A l'occasion de ma dernière visite des lieux, le 30 août 2021, j'ai pu constater qu’elle n’était plus en eau et que de gros pots de fleurs en plastique multicolore avaient été placés à sa base.
A l’est du jardin, composé d’une succession labyrinthique de salles de verdures, denses et touffus, nous pouvions également découvrir la fontaine des Humidités (salle des Humidités, au nord), constituée de strates de diverses pierres ruisselantes dressées en parois à l’intérieur d’un long bassin de forme courbe, et tout près, la fontaine des Miroitements (salle des Miroitements, au sud), qui se présentait sous la forme d’une épaisse muraille en granit gris clair dans laquelle une ouverture trapézoïdale ponctuée de colonnes permettait de découvrir un large bassin rectangulaire où se reflétaient les rayons du soleil.
Aujourd’hui, elles ont été entièrement végétalisées.
Désormais, les trois fontaines du jardin Atlantique ont perdu leur fonction originelle !
Plus inquiétant encore est le sort réservé à la monumentale fontaine de Catalogne, au coeur de la place du même nom, à deux pas du jardin Atlantique.
Baptisée le Creuset-du-Temps, elle fut créée en 1988 par le sculpteur d’origine polonaise Shamaï Haber. Formant un large disque incliné de 50 mètres de diamètre, celle-ci est composée de trois cent mille pavés de granit poli gris et rose assemblés en larges bandes concentriques, sur lesquels l’eau s’écoulait en surface et retombait en cascade sur les bords. Constituant ainsi, du lever au coucher du soleil, un gigantesque miroir aux reflets sans cesse changeants.
D’après le témoignage des commerçants de la place de Catalogne, voilà déjà plusieurs année qu’elle n’est plus mise en eau.
La meilleure façon de noyer une fontaine, n’est-ce pas de l’assécher ?
D’autres moyens plus sournois ont été parallèlement mis en place par la municipalité pour rendre certaines des plus prestigieuses fontaines de Paris impraticables. En les escamotant purement et simplement à la vue du public, ou bien en les rendant inaccessibles.
C’est le cas notamment de la Fontaine du Trocadero.
Dite aussi fontaine de Varsovie, celle-ci a été aménagée lors de la construction du palais de Chaillot pour l’Exposition universelle de 1937, à l’emplacement de l’ancien palais du Trocadéro, qui avait été bâti, lui, à l’occasion de l’Exposition de 1878.
C’est incontestablement la plus grande fontaine de Paris - la plus grande piscine aussi.
Œuvre des architectes Roger Expert et Paul Maître, elle est constituée d’un gigantesque bassin rectangulaire surmonté d’une série de petits bassins symétriques, fonctionnant en circuit fermé, où peuvent être propulsés 5 700 litres d’eau à la seconde, par l’intermédiaire de 20 canons obliques, 56 gerbes et 12 colonnes d’eau, d’une portée respective de 50 mètres, 4 mètres et 7 mètres de hauteur.
Quand tout fonctionne, avec la mise en lumière à la nuit tombée, c’est proprement féerique.
Depuis l'été 2021 et à l'occasion des J.O. de Tokyo, une fan-zone recouvre désormais le site de la fontaine du Trocadero. Elle devrait y demeurer jusqu'à la fin des prochains J.O. de Paris en 2024, rendant ainsi la fontaine inaccessible au public et dénaturant la perspective entre le Trocadero et le Champ-de-Mars !
Le cas de la Fontaine du palais de Tokyo, aménagée dans le prolongement du palais de Tokyo,
sur le parvis dominant l’avenue de New York, du côté de la Seine, à l’occasion également de l’Exposition de 1937, est un peu différent.
Longtemps laissée dans un état de délabrement particulièrement inquiétant, cette fontaine monumentale, richement ornementée de sculptures, s’organisait autour d’un « miroir d’eau » central, totalement asséché, où les Quatre nymphes couchées, sculptées dans la pierre par Léon Drivier, Louis Dejean et Auguste Guénot, semblaient attendre des jours meilleurs.
Plus ou moins remise en eau récemment - bassin glauque sans jets -, elle est squattée essentiellement par les skaters du quartier, et est devenue totalement inapprochable aux promeneurs sans roulettes, ainsi que j'ai pu le vérifier sur place !
En revanche, les deux fontaines jumelles de la porte de Saint-Cloud ont retrouvé tout leur éclat en août 2021.
Longtemps asséchées, elles ont été entièrement rénovées et sont désormais dégoulinantes de gerbes d’eau, qui en rehaussent les décors.
Oeuvres du sculpteur Paul Landowski, elles ont été érigées en 1934-1936 selon les plans des architectes Pommier et Billard.
Baptisées la Seine apportant à Paris les richesses de la terre et Paris ville d’art et de travail, elles sont constituées de deux énormes fûts de dix mètres de hauteur et de cinq mètres de diamètre, entièrement ornées de légers reliefs de style Art déco.
Ces colonnes trapues, surmontées d’un dôme cylindrique évidé et prenant appui, au centre d’un vaste bassin, sur un soubassement reposant sur quatre marches circulaires, sont enrichies de détails illustratifs évoquant les travaux des champs, les joies de la nature et, sur les mascarons en bronze du soubassement, les plaisirs galants et culturels offerts par la Ville.
Encore faudrait-il pouvoir s’en approcher.
Hélas, force m'a été donné de constater, lors de ma visite sur place, peu de temps après leur remise en état, que, privées de tout passage-piéton pour y accéder, elles sont inaccessibles aux promeneurs !
Mentionnons enfin la fontaine Stravinsky, place Igor-Stravinsky (4e arr.)
C’est, incontestablement, la plus spectaculaire fontaine contemporaine créée dans la capitale.
Réalisée par Jean Tinguely et sa compagne, Niki de Saint Phalle, elle est constituée de seize figures noires ou multicolores qui sont animées par la force de l’eau à l’intérieur d’un vaste bassin rectangulaire.
Aménagée en 1983 sur le parvis de l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), la fontaine offre une heureuse transition entre les arches gothiques du chevet de l’église
Saint-Merri et les tubulures vivement colorées du Centre Pompidou.
Sa margelle en acier inoxydable forme une banquette ininterrompue, ce qui en fait une halte ludique plébiscitée par les nombreux visiteurs du Centre Beaubourg et particulièrement appréciée des enfants.
Baptisée à l’origine Le Sacre du Printemps, elle rend hommage au compositeur Igor Stravinsky.
Ses automates sont en effet directement inspirés de l’œuvre du musicien.
Ils symbolisent ainsi les thèmes de la vie, de la mort ou de l’amour (le cœur, les lèvres rouges) ou représentent le bestiaire (serpent, éléphant) propre à l’univers fantasmagorique du compositeur russe, comme L’Oiseau de feu dont la haute silhouette émerge au centre du bassin.
A l’arrêt depuis plusieurs années, elle ne devrait se réanimer, selon Le Parisien du 9 janvier 2021, qu’à l’occasion des Jeux Olympiques de… 2024 !
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