A Paris, le cinéma commence dans la rue
Sur la ligne 1 du métro, une jeune fille obèse monte à la gare de Lyon et s’assoie en face de moi.
Elle sort prestement d’un grand sac posé à même le sol, entre ses énormes cuisses, trois boites hermétiques rectangulaires emboîtées l’une sur l’autre.
Dans la première, d’où s’échappe une forte odeur de graillon, je distingue des patates grillées et des morceaux de blanc de poulet, qu’elle introduit à vive allure dans sa bouche à l’aide d’une fourchette en plastique.
Dans la seconde, de grosses pâtes torsadées à la sauce tomate sont avalées aussi rapidement.
Dans la troisième, des feuilles de salade luisantes de vinaigrette subissent le même sort.
Un repas complet en moins de cinq minutes !
Après avoir rangé les trois boîtes dans son sac, elle en extirpe aussitôt une quatrième, petite et ronde à couvercle bleu.
Une petite salade de fruits pensé-je, pour faire glisser le tout ?
Nenni, une crêpe bien épaisse, qu’elle dévore aussitôt à grandes bouchées !
A la suite de quoi, elle s’envoie une généreuse lampée d’eau minérale.
Je m’attends à ce qu’elle lâche un rot, voire plus…
C’est alors que j’entends une longue plainte psalmodiée se rapprochant dans mon dos : une mendiante roumaine demande la charité.
A son passage, tandis que les gens dans le couloir se rabattent vivement sur les côtés, je découvre le spectacle dans toute son horreur.
La mendiante s’avance en rampant, vêtue d’un curieux short jaune à gros pois rouges, poussant devant elle ses petites jambes mortes et toutes tordues, probablement brisées dans son enfance !
Je descends sans plus attendre à la station Hôtel-de-Ville et retrouve le temps glacé, mais superbement ensoleillé, de ce début d’après-midi d’hiver.
Depuis la rue de la Verrerie, dans le Marais, je me dirige tout droit vers les Halles.
Au carrefour, à la hauteur de l’église Saint-Merri, un jeune-homme brun, mince, bien de sa personne et propre sur lui, se tient debout, le regard fixe au loin, exhibant devant sa poitrine une pancarte en carton, sur laquelle je peux lire en grosses lettres manuscrites : INGENIEUR cherche logement.
En voilà un qui n’hésite pas à descendre dans la rue pour régler son problème, me suis-je dis en poursuivant mon chemin, sans pouvoir croiser ses yeux et échanger un sourire de connivence avec lui.
Un peu plus loin, dans la rue des Lombards, un autre homme, nettement moins propre, plus gras et à peine plus âgé que le précédent est avachi sur le pavé.
Le visage rubicond, il serre une canette de bière dans sa main droite.
Posée devant lui, une affichette nous informe, en lettres capitales : TROP MOCHE POUR LA PROSTITUTION.
J’éclate bêtement d’un rire nerveux, auquel il répond de manière hilare, en m’indiquant péremptoirement du menton le gobelet en carton trônant à ses pieds.
Sans déposer aucune obole, je presse le pas en direction du forum des Halles, où la séance du film que j’ai décidé d’aller voir va débuter.
En espérant seulement, à cet instant précis, que la fiction qui m’attend sur l’écran sera au niveau de la réalité rencontrée jusqu’alors !
contact : jackybarozzi@aol.com