Juin est le mois des roses et cette année elles sont particulièrement précoces !
JARDIN DE BAGATELLE 1786
16° arr., bois de Boulogne, route de Sèvres-à-Neuilly, route des Lacs-de-Bagatelle, route du Point-du-Jour-à- Bagatelle, M° Pont-de-Neuilly. Entrée payante (d'avril à septembre, tarif plein : 2,50 €,
tarif réduit, sous conditions : 1,50 €).
Lors de ma dernière visite à Bagatelle, l'été passé, le château n'était pas en excellent état.
Hier, 2 juin, à l'occasion de mon retour sur les lieux, j'ai pu constater une nette amélioration.
Mais j'ai pu découvrir aussi que, comme pour le parc floral de Paris, au bois de Vincennes, et le jardin des Serres d'Auteuil (16 arr.), les deux autres sites avec lesquels Bagatelle partage le label de jardin botanique de la Ville de Paris, l'entrée est désormais payante !
SI BAGATELLE NOUS ÉTAIT CONTÉ
Aux origines de Bagatelle, il y eut d’abord un petit logement situé près d’une des portes du bois de Boulogne, entre le château de Madrid et la porte de Longchamp, accordé à vie à Louis Paul Bellanger, avocat général à la Cour des aides, qui en céda la jouissance, en 1720, au maréchal d’Estrées.
Celui-ci le fit reconstruire en l’agrandissant et cette « folie », ou maison dans les feuilles, fut dès lors baptisée Bagatelle, ce qui, dans le langage du XVIII° siècle, signifiait tout à la fois quelque chose de peu de valeur mais aussi quelque chose de frivole. Ce qu’illustra très bien la jeune maréchale d’Estrées, qui y donna de brillantes mais non moins galantes réceptions, dont le Régent était un habitué, bientôt suivi par le jeune Louis XV.
Veuve depuis 1737, la maréchale disparut à son tour en 1745. Deux ans plus tard, c’est à la marquise de Monconseil que fut accordé Bagatelle et elle y donna elle aussi de somptueuses fêtes, tout aussi légères, tant et si bien qu’elle s’y ruina. La maison, faute d’entretien, était alors dans un état de délabrement inquiétant.
Elle fut cédée en 1772 à Monsieur de Boisgelin, qui s’en défit deux ans plus tard au profit du fermier général Laurent Grimod de La Reynière, lequel s’en débarrassa très vite auprès de François Hénin, dit le prince de Chimay, capitaine des chasses du comte d’Artois.
Charles-Philippe, comte d’Artois et jeune frère de Louis XVI, qui deviendrait roi de 1824 à 1830 sous le nom de Charles X, était alors un jeune homme, grand amateur de femmes et de chasse. C’est ainsi qu’il se toqua de la demeure de son capitaine, auquel il la racheta en 1775.
La reine Marie-Antoinette, sa belle-sœur, pour laquelle il organisait de nombreux divertissements dont elle raffolait, vint lui rendre visite en sa nouvelle acquisition, qu’elle trouva en ruine. Ce fut l’occasion d’un pari fou entre les deux jeunes gens : 100 000 livres que le château ne serait pas reconstruit en deux mois, temps du séjour de la reine à Fontainebleau.
Le comte d’Artois fit appel à son Premier architecte, François-Joseph Bélanger (1744-1818) qui arrêta les plans en deux jours, commença les travaux le 21 septembre 1777 et donna livraison de la « folie » le
26 novembre suivant. Le comte d’Artois avait tenu son pari... et gagné 100 000 livres !
BAGATELLE EN SES PREMIERS JARDINS
Bélanger imagina un premier jardin, au tracé régulier, avec parterre et bassin devant le château et des arbres en lisière du parc, le tout à l’intérieur des quelques hectares qui constituaient la propriété.
Dès 1778, le comte d’Artois obtint de Louis XVI une parcelle de 10 hectares prise sur le bois afin d’agrandir son domaine qui passa ainsi à 14 hectares. Il en confia l’aménagement à Bélanger, qui avait travaillé en Angleterre où il avait découvert la mode des jardins anglais, ou plutôt anglo-chinois où la nature est en liberté.
Bélanger fit appel au jardinier écossais Thomas Blaikie, savant botaniste, et tous les deux s’attachèrent à la création d’un nouveau jardin à partir de 1779. A la fin de l’année 1781, les plantations étaient quasiment finies mais il fallut attendre 1786 pour que l’ensemble soit réellement terminé. Ils en firent l’une des œuvres les plus achevées en matière de jardin anglo-chinois. Des chemins et des rivières, au tracé extrêmement sinueux, découpaient des îlots, certains traités comme des buttes couronnées par une fabrique, d’autres, plus vastes, formant des pelouses en vallons. Le tout était ponctué de plantations denses, aux espèces variées, destinées à cerner des paysages ou à créer des effets de profondeur. Des lacs et des rochers artificiels, dont certains énormes et creusés pour former des grottes, une succession de fabriques, d’inspiration antique, chinoise, gothique, et de ponts, tout était fait pour arrêter l’œil et le surprendre, pour qu’il reparte et s’arrête à nouveau.
La grotte au fond du parc, derrière le château.
Ce jardin si nouveau pour l’époque, encore tout imprégnée de la rigueur des tracés de Le Nôtre, enchanta les contemporains et fit la réputation de Bagatelle. La « folie d’Artois » comme on l’appelait, était devenue le lieu à la mode par excellence.
La Révolution provoqua l’exil du comte d’Artois et Bagatelle devint bien national. Le château de Madrid fut détruit en 1793 et le parc de La Muette divisé mais Bagatelle fut épargné et laissé à la disposition du peuple, avant d’être vendu en 1796 et transformé en restaurant.
Napoléon le fit acheter par l’Etat en 1806, pour en faire son pavillon de chasse, et remettre en état en 1811 par l’architecte Pierre Fontaine.
La Restauration, en 1815, voit le retour du comte d’Artois qui récupéra la propriété mais l’abandonna à son fils, le duc de Berry. A la mort de ce dernier, assassiné en 1820, Bagatelle revint à la couronne qui décida finalement de le vendre en 1833.
Deux ans plus tard, Bagatelle est acheté par un Anglais, le marquis d’Hertford. Il avait connu en Angleterre celui qui deviendrait Napoléon III, grâce auquel il put accroître la superficie du terrain, le faisant passer de 14 à 24 hectares, soit ses limites actuelles. Le jardin est remanié par Louis-Sulpice Varé qui, s’il ne modifie pas profondément l’œuvre de Blaikie, la simplifie pour l’intégrer dans son propre dessin. Il rétablit le jardin à la française devant le château et crée, sur les terrains nouvellement acquis, de grandes pelouses à la mode paysagère, mais aussi des étangs et des grottes.
Le marquis d’Hertford fait surélever le château et restaurer le pavillon des Pages que Bélanger avait construit à l’extrémité sud de la cour d’honneur. Il fait en outre construire une fruiterie, une orangerie avec parterres, de nouvelles écuries, la maison du jardinier et fait ouvrir l’entrée sur le bois, avec sa grille d’honneur et son pavillon de style Louis-XVI.
A sa mort, en 1870, le marquis d’Hertford laisse sa fortune et son domaine à son fils adoptif et probablement naturel, sir Richard Wallace, plus connu pour avoir offert à Paris ses fontaines conçues sur le modèle anglais.
A partir de 1873, et avec la collaboration de l’architecte Léon de Sanges, il effectue d’importantes transformations qui donneront à Bagatelle son aspect actuel.
Il fait démolir le pavillon des Pages, ce qui permet d’allonger la cour d’honneur dont l’entrée est marquée par les deux pavillons des gardes, et aménager de part et d’autre deux grandes terrasses. C’est lui également qui fait construire, toujours par Léon de Sanges, le Trianon.
Sir Richard Wallace meurt à Bagatelle en 1890 et sa veuve laissera le domaine à Murray-Scott, ancien secrétaire de son mari, qui envisagera de le lotir et le vendra finalement à la Ville en 1905.
1905 : BAGATELLE S'OUVRE AU PUBLIC
C’est Jean-Claude-Nicolas Forestier, alors conservateur du bois de Boulogne, qui avait suggéré cette acquisition et c’est lui qui est tout naturellement chargé du domaine, ouvert au public à partir de cette date.
Son ambition n’est pas de reconstituer l’état XVIII° modifié par Varé, mais plutôt de faire de Bagatelle un endroit agréable et propice au délassement, où couleur et verdure se répondent. C’est ainsi qu’il crée un nouveau mode de présentation des fleurs, regroupées espèces par espèces afin d’obtenir des taches colorées qui offrent des contrastes.
Les tulipes au printemps.
Dans cet esprit, Forestier constitue la collection d’iris et celle des nymphéas.
Au jardin des iris.
C’est à Forestier surtout que Bagatelle doit la création de sa célèbre roseraie, constituée grâce à la générosité de Jules Gravereaux, créateur de la roseraie de L’Haÿ, et l’instauration du concours de roses nouvelles qui se tient ici depuis 1907.
Ainsi, de la succession de jardins qu’a connus Bagatelle – le premier jardin français de Bélanger, le jardin anglo- chinois de Bélanger et Blaikie, le jardin anglais de Varé et le jardin de collections de Forestier –, il reste une trace, chacun ayant englobé et intégré l’œuvre de son prédécesseur dans son propre projet.
Bagatelle, qui se veut aujourd’hui à la fois jardin d’agrément mais aussi jardin botanique, avec tout ce que cela implique de didactique, apparaît donc comme un concentré de l’art des jardins depuis le début du XVIII° siècle.
D'autres collections de plantes sont visibles en divers endroits du parc et en diverses saisons, tels ces subtils mélanges au jardin des présentateurs.
Texte et photos de Jacques Barozzi
contact : jackybarozzi@aol.com