En 697, déjà, tandis que Byzance régnait sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, douze tribuns élurent leur premier doge, Paulicius. Il y avait là, selon le chroniqueur Jean le Diacre (1050-1129) : Badoer, Barozzi, Contarini, Dandolo, Falier, Gradenigo, Memmo, Michiel, Morosini, Polani, Sanudo et Tiepolo. Les représentants des plus anciennes familles patriciennes, appelées pour cette raison
« apostoliques », de la future République de Venise.
Qui étaient ces Vénètes de légende, que Tite-Live et Virgile font descendre des Enéens de Paphlagonie, réfugiés en haute Adriatique après la chute de Troie, sur les terres des antiques Euganéens ?
Difficile de le dire, tant leur origine est mythique ! Ce qui est avéré, c’est l’apparition, entre 1000 et 700 avant Jésus-Christ, d’une population constituée autour d’un territoire dont l’épicentre se situe à Este.
De 218 à 203, on les retrouve alliés aux Romains dans leur guerres contre Hannibal. Plus tard, leur capitale sera Aquilée, fondée en 181 de notre ère. Peuplades d’agriculteurs, au départ, indomptables, courageux et ingénieux, sans cesse assaillis par les barbares, ils finiront par se réfugier dans les lagunes et marécages, d’où ils rebondiront ensuite, partant à la conquête des mers. Devenus d’habiles commerçants et de fins diplomates, ils bâtiront un empire dont l’influence s’étendra jusqu’en Orient et un modèle d’organisation sociale et politique d’une rare subtilité : une république aristocratique, unique dans son genre, sur laquelle on s’interroge encore. Enfin, grâce à tout l’or amassé et leur raffinement indépassable, ils ont légué au monde un trésor : Venise ! Ville de tous les arts.
Il y avait jadis deux palais Barozzi à Venise. Jusqu’à cette sombre histoire de la conjuration de Baiamonte Tiepolo, en 1310, à laquelle Jacopino, Marino et Cataldo Barozzi prêtèrent la main. Ainsi que Marco Querini et Badoero Badoer. Les conspirateurs voulurent assassiner le doge Pietro Gradenigo, alors en guerre contre le pape. D’Avignon, ce dernier menaçait d’excommunier tous les Vénitiens, s’ils ne libéraient pas Ferrare, qu’ils venaient d’occuper pour mieux établir leur hégémonie économique sur toute la plaine du Pô. Le complot échoua : Marco Querini, pris les armes à la main, fut décapité, ses illustres complices exilés et leurs palais à tous rasés. Peu de temps après, le doge et le pape trouvèrent un accord. Se pourrait-il que je descende de cette branche-là ? L’actuel palais Barozzi se dresse au confluent du canal San Moisè et du Grand Canal. Il diffère sensiblement de l’ancien palais crénelé à plusieurs étages et flanqué de deux tours carrées, visible sur le plan de Barbari de 1500. C’est à cet emplacement qu’en 1164 Domenico Barozzi acquit le terrain sur lequel fut élevé le premier palais, face à celui qui fut détruit plus tard pour cause d’infamie. Aujourd’hui encore, les rues, les cours et les ponts voisins portent toujours notre patronyme, témoignant de l’ancienneté de l’établissement des Barozzi dans ce quartier jouxtant la place Saint-Marc, dont le lion ailé orne le blason familial. Là, cette branche de la famille, dite de la Ca’Grande, restée fidèle au doge, continuera au fil des siècles à jouir d’un grand prestige. Dès 1204, un certain Jacopo Barozzi, de San Moisè, se distingua en conquérant les îles de Santorin et de Thyrasie, dont il devint le seigneur. Fiefs de la mer Egée qui passeront ensuite à son fils Andrea, consul de Venise à Negroponte, et à son petit-fils Jacopo, recteur de la Canée, de Negreponte et duc de Candie, qui les conservera jusqu’au début du XIVème siècle. Au cours des XVème et XVIème siècles, la famille comptera aussi un patriarche de Grado et un de Venise, divers évêques et d’éminents hommes politiques. Mais curieusement, jamais de doge ? Remanié au début du XVIIème siècle par l’architecte Bartolomeo Manopola, le palais Barozzi fut revendu aux Treves en 1827. Quelques années auparavant, Napoléon avait porté le coup de grâce à la Sérénissime République.
Jacques Barozzi, dit le Vignole (1507-1573), fut l’un des plus grands architectes de la Renaissance. Après une formation de peintre à Bologne, il se dirigea vers l’architecture. Là, il fut repéré par le Primatice. Il partit très vite à Rome, étudier les monuments antiques. Entre 1541 et 1543, il œuvra à Fontainebleau, à la demande de François 1er. Puis il retourna dans la ville sainte, où il exercera jusqu’à sa mort. Il y fut l’élève de Michel-Ange et travailla pour le pape Jules III. Il laisse de nombreux témoignages de premier plan : églises, palais, villas, parcs et jardins, fontaines…Parmi ses nombreuses réalisations citons : la villa Giulia, d’influence maniériste ; la chapelle San Andrea sur la Via Flaminia, au plan ovale, annonciateur du baroque ; le palais Farnese de Caprarola ; la villa Lante à Bagnaia et, surtout, l’église du Gesù, à Rome. D’un classicisme rigoureux et élégant, il s’attache aux moindres détails. Théoricien, sa Règle des cinq ordres, ouvrage fondamental, eut une large influence en Europe jusqu’au XIXème siècle. Homme austère, exigeant avec ses collaborateurs, dont son propre fils, architecte également, il était capable de tenir tête à ses illustres commanditaires : on disait de lui qu’il n’était pas très doué pour la carrière de courtisan. Est-ce cela qui lui valut, malgré une vie active intense, de mourir pauvre ? Mais sa renommée était telle, que sa dépouille fut directement conduite au Panthéon de Rome, suivie par les principaux artistes de l’époque ! Ses biographes mentionnent qu’il était le fils de Bartolomeo Barozzi, un « blasonato nobile », qui, après des revers de fortune, s’était réfugié à Vignola, dans le duché de Modène, en provenance de Milan.
A Modène, il existe une spécialité pâtissière : la torta Barozzi, que l’on trouve chez tous les bons faiseurs. Il s’agit d’un gâteau au chocolat et au café. Sa recette exacte est tenue secrète et fait l’objet de nombreux débats depuis près d’un siècle et aujourd’hui encore sur Internet ! L’invention en revient à Eugène Gollini, dont la pâtisserie maintient la tradition familiale depuis 1907, en hommage au célèbre architecte Jacopo Barozzi da Vignola. Il n’est pas interdit de tester la recette de base.
Ingrédients : 100 gr de poudre d’amandes, 80 gr de beurre, 250 gr de chocolat fondant, 4 œufs, 150 gr de sucre, un petit verre de rhum, 3 cuillères à soupe de café soluble.
Fondre le beurre et le chocolat au bain-marie. Battre le beurre, les jaunes d’oeufs et le sucre jusqu’à obtention d’une crème. Ajouter les amandes, le café, le chocolat et le rhum. Incorporer les blancs d’œufs montés en neige. Faire cuire au four à 180° pendant 30 minutes, dans un moule circulaire recouvert de papier sulfurisé.
Laisser refroidir, puis déguster.
contact : jackybarozzi@aol.com